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Les performances du maïs amélioré TZB en milieu paysan dans le département de l'Atacora au Bénin
Anselme A. ADEGBIDI
Faculté des sciences agronomiques, Université nationale du
Bénin, Cotonou, Bénin
La caractéristique fondamentale des technologies agricoles améliorées est leur conception dans un environnement (station de recherche) où le capital et le travail sont certainement les facteurs qui manquent le moins. Aussi devrait-on s'attendre à ce que les dites technologies ou matériels expriment de manière évidente cette particularité intrinsèque.
C'est ce qui apparaît à travers cette étude sur la rémunération des facteurs terre, travail et capital par le maïs TZB en milieu paysan dans le département de l'Atacora.
La problématique
Considérations générales
Une littérature abondante stigmatise l'incapacité des systèmes de production à satisfaire les besoins des populations dans les pays en voie de développement. Dans un tel contexte, l'introduction de nouvelles technologies est perçue comme la solution adéquate pour promouvoir l'agriculture en vue de satisfaire les besoins alimentaires. Après plus d'un quart de siècle d'expérience, il est apparu qu'on est allé trop vite en besogne. Le transfert des technologies améliorées des lieux de conception aux producteurs se heurte à la logique de ces derniers, attachés qu'ils sont à leurs méthodes et matériels «traditionnels».
Pourtant, ce ne sont pas les nouvelles technologies qui manquent, et encore moins les structures organisationnelles intermédiaires qui font défaut. Ainsi, en République du Bénin, la création en décembre 1975 des Centres d'action régionale pour le développement rural (CARDER) avait été motivée par le souci de favoriser la modernisation tant souhaitée des techniques et des technologies «surannées», encore largement en usage dans le monde rural, par un encadrement plus étroit des paysans.
Plus de dix ans après, quel en est le bilan? Il est globalement négatif car très peu de technologies nouvelles ont été acceptées par les utilisateurs.
Le problème
Il convient de situer dans le temps le problème de l'introduction des innovations dans les pays en voie de développement. En effet, les technologies ont été développées au début pour les cultures de rente. La conception des technologies était en rapport avec les zones édaphiques favorables à ces cultures. Il ne s'agissait pas de valoriser les zones marginales et on accordait peu d'intérêt aux cultures vivrières.
C'est seulement au cours des années soixante que la recherche agronomique a commencé à s'intéresser aux cultures vivrières, suite aux problèmes de déficit alimentaire notés çà et là dans le monde et particulièrement dans les pays en voie de développement. il fut alors créé plusieurs institutions internationales de recherche telles que: l'IITA (International InstitutE of Tropical Agriculture, Nigeria), L'IIRI (International Rice Research Institute, Philippines), le CYMMIT (Centro Internacional de Mejoramiento de Maíz y Trigo, Mexique), le CIAT (Centro Internacional de Agricultura Tropical, Colombie), le CIP (Centro International de la Papa, Pérou), L'ICRISAT (international Crops Research Institute for the semi-Arid Tropics, Inde), le CIPEA (Centre international pour l'élevage en Afrique, Mali), etc., toutes regroupées dans le Consultative Group of International Agricultural Research (CGIAR). Plusieurs pays indépendants, les fondations, organisations internationales et représentants des pays en voie développment en étaient membres. Le CGIAR essaie de gérer les recherches agronomiques sur les cultures vivrières de ses différentes institutions, en collaboration avec l'International Service for National Agricultural Research (ISNAR).
Les efforts de toutes ces institutions ont contribué au déclenchement dans les années 70 de ce qu'on a appelé la «révolution verte», qui a largement produit des effets dans les pays asiatiques, mais dont le bilan en Afrique s'est révélé peu encourageant.
De ces expériences souvent gigantesques, beaucoup de leçons ont été tirées et ont depuis lors ouvert et animé des débats sur l'élaboration et l'adoption de technologies ou innovations dans les pays en voie de développement. Dans les années 80, une réorientation dans le transfert de technologie s'est imposée et a été amorcée avec les approches et concepts de recherche-développement et de farming systems research. Puis vinrent les années 90 dominées par le concept de participative technology development, dans lequel l'accent est mis sur la nécessité d'envisager le problème de la technologie sous un autre angle, sans toutefois nier la valeur des recherches fondamentales.
Il y a cependant certaines expériences sur lesquelles on doit encore s'interroger. En effet, pour ce qui est de la République du Bénin, et dans l'Atacora en particulier, la grande famine des années 1977-1978 a incité à la mise en place d'une politique dite d'autosuffisance alimentaire. La promotion de la production vivrière est devenue alors la tâche prioritaire de l'Etat. En février 1979, le CARDER de l'Atacora créait sa propre ferme expérimentale dont l'objectif principal se résume à la promotion de la production vivrière. Un projet dénommé PDPV s'est alors chargé principalement de la promotion de maïs sur toute l'étendue du territoire national. Ainsi furent introduites plusieurs variétés améliorées de maïs. Elles furent toutes testées dans les sites de Sosso et Soaoulou. La TZB s'étant révélée la plus performante dans l'Atacora et le Borgou, le CARDER la vulgarisa dans le milieu paysan.
La TZB est en fait vulgarisée à l'intérieur d'un paquet technologique qui comprend dix thèmes:
Les objectifs
L'étude s'efforcera de répondre à la question suivante: dans quelle mesure la TZB est-elle plus performante que les cultures existantes: maïs local, sorgho, mil, arachide et coton. Ainsi cette étude permettra:
Revue de la littérature
L'innovation dans la pensée économique
Selon Théodore SUNANYI-UNGER (1984), l'innovation est un concept pragmatique. Elle a trait à l'insertion de quelque chose de nouveau dans les activités du monde réel. Les innovations sont généralement censées conduire à une progression et, par conséquent, à une amélioration, du moins dans l'esprit de l'innovateur. Cependant, en économie, on ne considère pas nécessairement qu'une innovation ne comporte que des avantages, surtout parce qu'il existe souvent des conflits d'intérêt inévitables entre l'innovateur et l'ensemble du marché ou de la société. L'innovation peut alors avoir l'une des trois significations suivantes en économie:
Dans l'histoire de la pensée économique, l'analyse de l'innovation reste associée au nom de l'économiste autrichien Joseph A. SCHUMPETER (1930).
Pendant les années cinquante et soixante, á l'époque où les économistes ont commencé à admettre l'importance économique de la recherche et du développement, l'innovation est devenue un maillon dans la nouvelle progression imaginée: recherche et développement, invention, innovation, croissance et développement.
C'est également depuis les années cinquante que d'autres questions relatives à l'innovation ont été abordées: quelle était la liaison entre l'innovation et le motif du profit? Est-ce que les innovations économisaient du capital, de la main-d'oeuvre? Quel était le processus de diffusion des innovations dans les industries? Quelle était la relation entre l'innovation et la croissance économique aux plans micro-économique et macro-économique?
Si le point de vue ci-dessus exposé s'est plutôt confiné dans l'aspect pragmatique de l'innovation, c'est ADAMS (1982) qui fait d'abord remarquer qu'une innovation est en fait une idée ou un objet perçu comme nouveau par un individu. Pourtant, cette perception peut exister au niveau d'un groupe social. Partant de son point de vue, ADAMS suggère qu'une innovation peut être classée en innovation technique ou innovation sociale. C'est dans la première catégorie qu'on met souvent les innovations agricoles, en l'occurrence les semences améliorées.
Ainsi, il définit l'innovation comme une nouvelle idée, méthode pratique ou technique qui permet d'accroître de manière durable la productivité et le revenu agricole (ADAMS, 1982)
L'adoption des innovations en Afrique
Dans ce continent, nombreuses ont été les études sur l'adoption des technologies, surtout lors de la «décennie de la révolution verte des années 60». L'innovation, pensait-on, était l'indicateur unique de la variable à multiples facettes appelée modernisation, l'équivalent du développement au niveau individuel (ROGERS, 1976). Toutefois, ces études ont confirmé le poids des facteurs socio-économiques, dont entre autres le revenu (CHIPANDE, 1987), le risque (BARI, 1974); la taille de l'exploitation (WEIL,
1970), la qualité de la terre (BURKE, 1979), l'accès au crédit (FEDER, 1985), etc. MEYEPS (1982) a attribué la variation du comportement vis-à-vis du risque aux différences socio-économiques parmi les paysans kényens.
Les outils analytiques utilisés
Des études conduites par des sociologues ruraux aux sigmoïdes (conjoncturelles) de diffusion dans le temps pour plusieurs innovations agricoles (BEAL et BUHLEN, 1957). Ces études étaient axées sur le rôle de la communication dans la détermination de la rapidité du processus de diffusion et de l'allure de la courbe de diffusion. ROGERS (1962), dans son étude, a analysé empiriquement l'existence des différentes étapes dans le processus d'adoption, pour différents types d'adopteurs de semences hybrides aux Etats-Unis. Sa conclusion indique que la période d'expérimentation et le temps de prise de conscience sont moins longs pour les premiers adopteurs que pour les derniers. Cependant, bien qu'il existe des modèles théoriques sur la forme de la courbe de diffusion, la dynamique de la prise de conscience et de la période d'expérimentation n'a jamais fait l'objet d'une étude analytique.
GRILICHES (1957) a conduit la première étude économétrique d'adoption à l'échelle globale. Il a introduit dans son modèle des variables économiques pour expliquer la diffusion des semences hybrides aux USA. Il a estimé la fraction de terre ensemencée par les variétés hybrides en fonction du temps, dans 132 districts producteurs de céréales. Sa fonction logistique a été la suivante:
Pt=K(1-exp -(a+b))-1EQ1
avec t = temps, K = limite supérieure à long terme de l'adoption agrégée, b = taux d'acceptation de la nouvelle technologie et a = terme constant qui reflète l'agrégat d'adoption à la période de départ. Ce modèle lui a permis de noter des variations dans les paramètres de la courbe de diffusion entre les districts étudiés. Des investigations plus poussées ont prouvé qu'une part substantielle de la variation entre le taux d'adoption et la limite supérieure à long terme de l'adoption est expliquée par les variations de profitabilité (rentabilité) de la technologie.
Aussi la rentabilité de la technologie a-t-elle été
désignée comme facteur explicatif des différences d'adoption
entre les districts. JARVIS (1981) a en plus de cette variable
explicative, identifié la qualité de la terre, le prix de
l'engrais et de certains autres produits comme la viande de
boeuf.
Pour ce qui est des outils à proprement parler, nous pouvons
constater que plusieurs études économétriques se sont
contentées d'observations sur le sens dans lequel influent les
variables explicatives plutôt que sur leur importance
quantitative. Ainsi a-t-on utilisé des tables de
contingence de PARATHASARATHY et PRASAD (1978). Bien que les
résultats obtenus suggèrent un effet significatif en termes
statistiques, ils ne permettent pas d'apprécier l'importance
économique des effets révélés (FEDER, 1985).
L'analyse de corrélation a été aussi utilisée pour apprécier les relations entre les variables qui affectent l'adoption (ROGERS, 1969). Tout comme la démarche précédente, cette approche souffre de ne pas pouvoir fournir des informations quantitatives. Mais ceci n'est nullement un inconvénient dans le cadre de notre présente préoccupation.
En effet, si un point se dégage des études citées ci-dessus, c'est celui de la rentabilité des technologies comme facteurs explicatifs de leur adoption. Notre démarche va surtout consister à une analyse comparative de la rémunération des facteurs de la technologie grâce à la méthode de la budgétisation partielle.
La méthode: le choix de l'échantillon
L'étude a porté sur un échantillon de 34 villages répartis sur toute l'étendue du département. Le département est lui-même divisé en quatre strates sur la base de critères écologiques et socio-culturels.
Le choix des villages s'est basé sur des critères préétablis, à savoir: les cultures pratiquées, les langues (dialectes dominants), l'accessibilité et la taille de la population. Ces choix sont faits en accord avec les agents de vulgarisation et les responsables politiques locaux. Ainsi, le choix, comme on peut le constater, est raisonné. Les raisons d'une telle démarche sont entre autres le coût que nécessite un échantillon aléatoire et la réalité que certaines zones sont particulièrement inaccessibles pendant une bonne partie de l'année, la saison des pluies en particulier.
Le choix des exploitations est aussi raisonné; il s'est fondé sur le nombre d'actifs agricoles et le rapport du nombre d'actifs sur la population totale au sein de chaque exploitation agricole.
La rentabilité du maïs amélioré
Dans le modèle à haute rentabilité formulé par T.W. SCHULTZ (1964), les paysans traditionnels sont supposés rationnels, et positivement sensibles aux augmentations de prix. lis allouent efficacement les ressources sous la contrainte qu'impose leur technologie stationaire et leurs dotations actuelles de resources. Cependant, les agriculteurs traditionnels demeurent pauvres pour la simple raison qu'ils ont épuisé toutes les opportunités profitables d'investissement dans les facteurs à leur disposition. Les rendements décroissants à l'échelle en situation de technologie stationnaire ne permettent pas aux durs labeurs et aux petites économies d'assurer des revenus élevés. Dans ces conditions, aucune proposition utile ne saurait émaner des programmes de vulgarisation et de gestion dans le sens d'une meilleure allocation des ressources en agriculture traditionnelle. Pour que les propositions en valent la peine, de tels programmes doivent inclure un paquet technologique à haut rendement dans lequel les paysans pourraient investir. Avec la TZB, pouvons- nous dire que nous sommes dans pareil cas?
Les hypothèses
Afin de répondre à cette question, nous allons formuler deux hypothèses.
Dans la première hypothèse, les charges réelles ou, plus précisément, le capital liquide investi dans la production du maïs amélioré est une contrainte à son adoption. Nous sommes dans le contexte d'une agriculture paysanne où l'auto-approvisionnement est de règle. Tout ou presque est fourni par l'exploitation elle-même qui ne s'adresse au marché que pour écouler ses productions. il est alors économiquement justifiable que l'exploitant alloue ce facteur rare en fonction de la rémunération qu'il peut en attendre. Formulé autrement, nous pouvons insinuer que la rémunération de l'unité de capital investi dans la production du maïs amélioré ne serait pas intéressante; d'autres spéculations, sûrement celles les plus répandues, lui raviraient la vedette.
Notre seconde hypothèse est suscitée par la forte émigration des bras valides vers les autres préfectures du pays (Borgou et Zou) et surtout vers le Nigéria, ce qui a raréfié le facteur travail. L'exploitation est donc supposée allouer ce facteur rare en fonction de sa rentabilité. Certaines spéculations seraient plus rémunératrices du facteur travail que le maïs amélioré.
Rappelons enfin que le facteur terre n'est pas une contrainte à proprement parler dans le département.
Le choix de l'unité d'observation
Les exploitations pratiquent plusieurs cultures; aussi, l'unité d'observation qui s'impose est la parcelle.
En effet, dans l'échantillon étudié, les exploitations ont cultivé aussi bien le maïs local que le maïs amélioré. Mieux, les pratiques culturales sont toujours spécifiques aux parcelles qui en fait sont propriété d'individus bien détermines. Les parcelles, tout en faisant partie de l'exploitation, sont l'objet d'une gestion individuelle. Enfin, les observations au niveau de la parcelle augmentent la taille de l'échantillon, ce qui autorise à certaines inférences statistiques. Ainsi avons-nous eu à observer: 167 parcelles de sorgho, 108 de maïs local, 16 de maïs amélioré, 98 d'arachide et 31 de coton, toujours sur notre échantillon de départ.
Le choix des variables
Les observations ont servi à estimer le capital liquide réellement investi par spéculation et par unité de surface. On a également estimé la quantité de travail par spéculation et à l'unité de surface, et enfin la marge brute par spéculation et à l'unité de surface. Les analyses sont supposées se fonder sur ces différentes estimations.
Résultats, interprétations et recommandations
A partir des variables ci-dessus répertoriées, plusieurs tableaux ont été compilés dans le but de tester les hypothèses de départ, et aussi de soutenir certaines analyses en vue de la résolution de nos préoccupations.
Ces tableaux sont les suivants
La rentabilité des spéculations à l'unité de surface
Tableau I. Analyse de variance sur marges brutes/ha du sorgho, de l'arachide et du coton.
Sorgho | Arachide | Coton | |
ni | 167 | 98 | 31 |
Xi | 51 693,36 | 84194,16 | 225395,33 |
8632 791,87 | 8251 027,46 | 6987255,35 | |
7,0750664 x 1011 | 1,574203 x 1012 | 1,4451512 x 1011 | |
4,4625801 x 1011 | 6,946883 x 1011 | 1,574894 x 1011 |
Source: enquêtes de terrain.
Test de F:
Fc = S22/S12 = 3,953728 x 1011
/ 4,7840883 x 1010 = 8,26
Ft (293; 2) = 2,99 au seuil de 5 %
4,60 au seuil de 1 %
Conclusion: test hautement significatif.
Tableau II. Analyse de variance sur marges brutes/ha du maïs local et du maïs amélioré.
Maïs local | Maïs amélioré | |
ni | 108 | 16 |
Xi | 85883,96 | 118472,22 |
9275468,01 | 1 895555,59 | |
7,9661392 x 1011 | 2,2457067 x 1011 | |
1,3531518 x 1012 | 3,9429314 x 1012 |
Source: enquêtes de terrain.
Test de F: Fc = S22/S12=
2,49
Ft (l 22; 1) = 3,84 au seuil de 5%
6,64 au seuil de 1 %
Conclusion: test non significatif.