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Les handicaps de la filière ignames fraîches
Les avantages de la filière cossettes
Bien que l'igname soit en majorité consommée sous forme de tubercules frais, il existait depuis longtemps, dans toute la zone de production d'igname, une pratique de transformation des tubercules en cossettes à usage domestique. Les paysans stabilisaient une partie de leur production, notamment les écarts de cuisine, afin de constituer des stocks pour les périodes de soudure.
La transformation des ignames en cossettes est traditionnellement très importante dans les régions de Ifé, Ilesha et Ede à l'ouest du Nigeria (Adisa, 1985; Igé et Akintunde, 1981). Cependant il y a encore une vingtaine d'années au Nigeria et au Bénin, les filières d'approvisionnement urbain en igname étaient largement dominées par les flux de tubercules frais. Au Nigeria, les produits transformés à base d'igname n'étaient, il y a encore quelques années, considérés que comme des produits domestiques (Coursey et Ferber, 1979). Au Bénin, il a fallu attendre la fin des années 70 pour voir apparaître les cossettes dans les statistiques agricoles (Dumont et Vernier, 1997).
Cette technique consiste à éplucher les tubercules, les précuire à l'eau contenant des substances naturelles jouant par la suite le rôle d'antifongiques et d'insectifuges, puis les sécher au soleil, de préférence en période d'harmattan. La précuisson, précédée ou non d'un trempage, n'est pas systématique, en particulier au Nigeria (Ezeh, 1992). Dans ce cas, la possibilité de conservation est limitée à quelques semaines alors qu'elle peut s'étendre à plus d'un an lorsque les tubercules ont été précuits avant séchage. C'est essentiellement sous cette forme de tubercules séchés, entiers mais de petite taille ou en morceaux, que s'effectue la commercialisation vers les marchés urbains. Pour leur utilisation culinaire, les cossettes sont réduites en farine après concassage et mouture. La farine sert à fabriquer une pâte colorée (marron) à consistance élastique, "l'amala" - ou le "télibo", que les consommateurs distinguent du "foutou" et du "foufou" - ("igname pilée") préparés à partir de tubercules frais. Des préparations plus élaborées existent aussi comme le "wassa-wassa" connu dans toute la sousrégion (granules de farine) ou le "tubaani" du Ghana en mélange avec la farine de haricot.
Les handicaps de la filière ignames fraîches
La commercialisation quasi exclusive sous forme de tubercules frais prévaut toujours aujourd'hui dans les autres pays de l'Afrique de l'Ouest. Cette situation induit un certain nombre de facteurs défavorables:
une culture exigente de variétés à gros tubercules
- Du fait des critères de qualité des consommateurs pour les tubercules frais, les paysans privilégient pour cette production, des variétés à gros tubercules qui donnent la meilleure qualité d'igname pilée. La culture de ces variétés, exigeantes en fertilité, est inféodée à la pratique de défriche-brûlis.
Elle exige un important travail, notamment pour le buttage des plants qui doit permettre un bon grossissement du tubercule dans une terre meuble. Or, avec la pression foncière, les surfaces de forêts tendent à se réduire et les rotations culturales s'accélèrent. Dans ce contexte, l'accroissement de la production de ce type d'igname pour suivre la demande apparaît difficile à long terme.
une culture saisonnière, un stockage difficile
- A l'inverse du manioc, dont la récolte pour une même variété est possible tout au long de l'année, une variété d'igname est une production saisonnière et ses tubercules, après la récolte, se conservent difficilement au-delà de quelques semaines. En l'absence de techniques de stabilisation du produit, les pertes après récolte (pourriture, germination) peuvent être importantes et la qualité culinaire se déprécie au cours du stockage en frais. Ceci est particulièrement le cas avec les variétés de D. cayenensis-rotundata les plus appréciées. Ces pertes peuvent atteindre, en Afrique, près de 50 % de la production en six mois (Coursey, 1967).
disponibilités et prix fluctuants
- Pour ces raisons, la disponibilité en igname fraîche sur les marchés est saisonnière et les prix au consommateur varient fortement durant l'année. D'après les données de l'ONASA au Bénin, on constate ainsi que les prix peuvent varier d'un facteur de 1 à 6 au cours de l'année comme le montre la Figure 2. Sur ce graphique, les prix de l'igname fraîche ont été convertis en prix équivalent pour un même taux de matière sèche que les cossettes et en comptant une perte de matière sous formes d'épluchures de 25 % du poids des tubercules frais.
Les relevés de prix effectués par l'ONASA sur les principaux marchés ruraux et urbains du Bénin n'enregistrent malheureusement pas les prix des cossettes d'igname sur le marché de Cotonou. Les données présentées ici concernent le marché de Parakou, ville d'environ 150 000 habitants située au coeur du bassin de production des ignames.
- Compte tenu de la forte teneur en eau des tubercules frais (60 à 75 %), la commercialisation est handicapée par un coût de transport élevé.
- De l'ensemble de ces contraintes, il résulte pour le consommateur urbain un coût moyen de l'igname fraîche relativement élevé comparé aux autres amylacés. Les prix moyens annuels des produits amylacés sur le principal marché de Cotonou (Dantokpa) et sur le marché de Parakou sont indiqués dans le tableau 1.
Tableau 1 - Moyennes annuelles des prix au consommateur des principaux produits amylacés au Bénin en FCFA/kg.
Cotonou Dantokpa | Parakou | |||||
1994 | 1995 | 1996 | 1994 | 1995 | 1996 | |
Maïs | 86 | 106 | 141 | 67 | 87 | 139 |
Riz local | 1.96 | 236 | 325 | 213 | 248 | 288 |
Riz importé | 277 | 316 | 226 | 279 | 334 | |
Farine de blé | 212 | 252 | 330 | 218 | 262 | 340 |
Igname fraîche | 87 | 86 | 101 | 58 | 65 | 84 |
Igname équiv. sec* | 220 | 219 | 256 | 148 | 166 | 212 |
Cossette igname | 112 | 116 | 140 | |||
Gari ordinaire | 92 | 120 | 158 | 122 | 135 | 173 |
Gari fin | 121 | 154 | 199 | 155 | 173 | 215 |
Cossette manioc | 60 | 64 | 95 |
*Le prix de l'igname équivalent sec est calculé pour un taux
d'humidité équivalent à celui des cossettes d'igname (13 %) et
compte tenu des putes en épluchures (25 %).
Source: Relevés de prix LISA-SAR ONASA
Les avantages de la filière cossettes
En comparaison avec la filière ignames fraîches, la filière cossettes présente a priori un certain nombre d'avantages:
variétés à petits tubercules plus faciles à cultiver
- Les critères de qualité des consommateurs pour les cossettes sont différents de ceux pour les tubercules frais à piler. Ce sont les petits tubercules (300 à 400 g) qui sont recherchés, associés par le consommateur à une image de qualité. De ce fait, les producteurs privilégient, pour la fabrication des cossettes, les variétés D. cayenensis-rotundata à multiples petits tubercules connues au Nigeria et au Bénin sous le nom générique de "kokoro" et sous le nom d'Alassora au Togo. Celles-ci apparaissent également moins exigeantes quant à la fertilité du sol que les "variétés à piler", généralement précoces, et s'insèrent plus facilement dans des systèmes de culture stabilisés. Les buttes nécessaires à ces variétés sont moins importantes ce qui réduit le travail agricole. De ce fait, les variétés "kokoro" apparaissent plus adaptées que les variétés classiques à l'évolution tendancielle des systèmes de culture vers la sédentarisation sous l'effet de la croissance démographique.
transformation peu exigente
- Pour les producteurs, la transformation en cossettes constitue une activité économique réalisable sans lourds investissements et qui permet d'obtenir une valeur ajoutée sur la production.
stabilité des approvisionnements donc des prix
- La transformation en cossettes permettant de stabiliser le produit en réduisant sa teneur en eau, les pertes après récolte sont très largement diminuées. Les cossettes se conservent plusieurs mois, voire plus d'un an, si les conditions de stockage permettent d'éviter les attaques d'insectes.
mis difficulté de séchage
- Le produit est donc disponible sur les marchés urbains de façon plus régulière. D'après les données de l'ONASA, au Bénin, on constate que les prix ne varient que d'un facteur de 1 à 2 au cours de l'année (cf. Figure 2). Il subsiste cependant des difficultés pour sécher au soleil d'importantes quantités de tubercules, le séchage ne s'effectuant correctement que pendant les périodes d'harmattan (faible humidité relative de l'air de décembre à mars). Ces difficultés se traduisent par la mise sur le marché de lots de tubercules parfois mal séchés et noircis du fait des moisissures. L'attaque des stocks de cossettes par les charançons occasionne également des pertes élevées après plusieurs mois de stockage (Adisa, 1985).
transport simplifié
- Les cossettes ont une teneur en eau d'environ 10 à 13 % (contre 60 à 75 % avec les tubercules frais). Les coûts de transport ramenés à l'unité de matière sèche sont par conséquent réduits. De plus, les pertes liées à l'endommagement des tuber cules frais au cours de la manutention et du transport sont, dans le cas des cossettes, limitées du fait de leur dureté.
prix inférieurs
- L'ensemble de ces caractéristiques permet d'aboutir à un prix des cossettes au consommateur nettement inférieur à celui de l'igname fraîche à un même niveau de comparaison. A Cotonou, depuis la dévaluation du FCFA, les cossettes d'igname se situent ainsi à un prix intermédiaire entre celui du manioc ou du maïs et celui du riz, du blé ou des tubercules frais (cf. Tableaux 1 et 2).
Tableau 2 - Prix comparatifs des principaux aliments disponibles sur le marché de Cotonou (décembre 1994) en FCFA/kg.
Nature du produit | Unité de mesure | Valeur produit | Valeur aliment préparé |
Cossettes d'ignames Kokoro | sac (± 108 kg) | 126 | 33 |
Cossettes d'ignames Kokoro | cuvette (± 11 kg) | 205 | 53 |
Farine d'igname | tongolo (± 0,8 kg) | 309 | 79 |
Tubercules frais d'igname | tas (± 15 kg) | 88 | 80 |
Cossettes de manioc | sac (± 60 kg) | 61 | 17 |
Cossettes de manioc | cuvette (± 6 kg) | 82 | 23 |
Farine de manioc | tongolo (± 0,95 kg) | 132 | 39 |
Gari | tongolo (± 0,86 kg) | 150 | 40 |
Riz importé | sac (50 kg) | 220 | 73 |
Riz importé | tongolo (0,8 kg) | 410 | 175 |
Riz local | tongolo (0,8 kg) | 340 | 142 |
Source: Dumont et Vernier, 1997
transformations variées
Enfin, les cossettes offrent des opportunités de nouvelles utilisations culinaires, comme les possibilités de transformer la farine en granules ou de l'incorporer dans des produits amylacés de type biscuit, farine infantile, boissons végétales, etc.. Certaines de ces transformations sont déjà explorées par de petites entreprises, notamment au Bénin (production de farine de cossettes tamisée).
La filière cossettes apparaît donc, de plusieurs points de vue, très intéressante pour contribuer à la diversification de l'alimentation urbaine en valorisant une production locale et compte tenu de l'évolution des systèmes de culture. C'est la raison pour laquelle a été entreprise une étude sur cette filière afin notamment de préciser les conditions de son développement dans d'autres pays producteurs d'igname où l'approvisionnement des villes en igname se fait encore sous forme de tubercules frais.