10 Méthodes de lutte intégrées
Table des matières - Précédente - Suivante
10. 1 Procédés mécaniques
10.2
procédés physiques
10.3 Méthodes biologiques de lutte
10.4 Procédés biotechniques
10.5 Ouvrages de référence à consulter
La prévention et la lutte contre les ravageurs des denrées stockées reposent avant toute chose sur un ensemble de mesures hygiéniques et chimiques. Toutefois, les méthodes de lutte physiques et chimiques ont acquis au cours de la dernière décennie une importance accrue. Cette évolution est due aux restrictions apportées, dans de nombreux pays, aux traitements chimiques du grain, de même qu'à la demande sans cesse croissante de produits « sans résidus », laquelle émane principalement des consommateurs des pays industrialisés.
Si les méthodes biologiques n'ont encore à l'heure actuelle qu'une signification pratique limitée, certaines méthodes physiques sont déjà bien implantées dans nombre de pays. Dans certains contextes, la mise en uvre concrète de méthodes de substitution est encore freinée par les coûts d'application. La demande croissante portant sur la sécurité d'emploi des insecticides et fumigènes rend ces procédés de plus en plus complexes et, partant, plus onéreux, si bien que le rapport coût-rendement tend à se décaler au profit de méthodes physiques et biologiques ménageant l'environnement.
Dans les pays en développement, les normes techniques requises demeurent des facteurs restrictifs, eu égard à l'application de méthodes qui demandent des appareils et équipements spéciaux, notamment une étanchéité au gaz supérieure à la moyenne des structures de stockage
Il s'agit ici en général de procédés visant à séparer les ravageurs de la marchandise stockée. Outre les principaux procédés mécaniques que l'on rencontre dans le stockage à la ferme: tamisage, triage des insectes ou vannage, on fait appel dans les entrepôts à grande capacité à divers types d'installations de nettoyage. L'important est de détruire immédiatement les insectes trouvés dans les résidus de nettoyage. Ces méthodes ne permettent pas toujours d'atteindre les larves vivant à l'intérieur du grain.
10 1.1 Emballage
Pour empêcher les insectes de pénétrer dans la marchandise, il est indispensable de la stocker dans des emballages sûrs, ce qui est uniquement le cas lorsque le matériau utilisé est suffisament solide pour résister aux attaques des ravageurs. Il est en général difficile de trouver un matériau d'emballage qui réponde à ces exigences. Outre les sacs de jute ou de plastique, les feuilles de plastique et le papier, les conteneurs les plus fréquemment utilisés sont en bois ou en carton. Bien souvent, ces conteneurs n'offrent aucune protection mécanique contre l'intrusion des ravageurs.
Seuls les ravageurs possédant des pièces buccales ou une denture sufficament puissantes sont en mesure d'attaquer les matériaux d'emballage. Il s'agit pour l'essentiel de:
Rhizopertha dominica
Sitophilus spp.
Lasioderma serricorne (Lasioderme du tabac)
Stogobium paniceum (Vrillette du pain)
Plodia interpunctella
des rongeurs
10.1.2 Transformation
La transformation revêt une importance capitale pour la conservation des denrées périssables. S'agissant des aliments de base, il faut citer en l'occurrence les produits traditionnnels très diversifiés issus du manioc et destinés au stockage à long terme d'une marchandise extrêmement périssable en soi. Pour ce qui est des céréales en grain, cependant, la transformation est limitée à des cas particuliers du fait que le grain vivant, avec sa teneur en humidité relativement limitée, est une marchandise qui possède en général des qualités de stockage exceptionnelles.
Dans certains cas, le grain est même stocké, de façon traditionnelle, dans l'état où il est récolté, sans battage ni déspathage. Quelques exemples:
stockage de riz non décortiqué (paddy)
stockage de rafles de mais en spathes
stockage de sorgho et de millet en panicules
stockage de légumineuses en cosses et de cacahuètes en
coques.
Ces pratiques ont ceci de commun que les grains restent dans leurs enveloppes protectrices naturelles, dans lesquelles certains des ravageurs des stocks sont incapables de pénétrer. Il y a néanmoins des exceptions, ainsi par exemple les ravageurs qui attaquent déjà les marchandises dans les champs, ou encore le grand capucin du maïs, qui perce des trous dans les spathes de maïs, préférant même le mais en épi au maïs égrené. Ces techniques de stockage permettent en outre d'éviter un égrugeage du grain avant stockage, au cours du battage, ce qui le rend vulnérable aux attaques de ravageurs secondaires.
Bien que l'importance d'un séchage adéquat ait également sa place dans la présente section, les questions de séchage sont traitées de manière détaillée au section 4.3.
Les seuls exemples majeurs de transformation des céréales visant à en améliorer la stockabilité sont les traitements faisant intervenir la chaleur et l'humidité, tels la préparation du bulgur à partir du blé dans les pays arabes ou la cuisson à demi du riz, une pratique particulièrement courante en Asie. Ces deux techniques modifient la structure, la densité et la dureté du grain, ce qui fait que certains ravageurs trouvent le produit traité moins attrayant que le grain cru.
La cuisson à demi implique le trempage du paddy dans de l'eau chaude ou froide pour des durées diverses (jusqu'à trois jours), le passage à la vapeur et le séchage. Au cours de ce processus, les cellules d'amidon deviennent gélatineuses et bouchent les fissures éventuellement présentes dans le grain. La cuisson à demi a pour avantage de limiter les attaques d'insectes et le bris au cours de la mouture, de favoriser la préservation des substances nutritives et des vitamines et d'optimiser dans l'ensemble l'aptitude au stockage. Une cuisson à demi effectuée de façon négligente peut aboutir à un changement de couleur indésirable et à un dégagement d'odeurs désagréables, notamment dans les cas où les rafles sont fortement infestées par des champignons, suite à un séchage insuffisant après la récolte.
10.2.1 Stockage en milieu étanche à l'air
Le stockage en milieu étanche à l'air (ou stockage hermétique) prévient l'intrusion des ravageurs des stocks. Le manque d'oxygène et le surcroît de gaz carbonique entraînent par ailleurs la mort des insectes se trouvant dans l'entrepôt. La condition préalable essentielle pour un stockage à l'abri de l'air est de disposer de structures étanches au gaz.
Le stockage en milieu étanche à l'air a été pratiqué avec succès sur une petite échelle. On a utilisé pour cela des jarres en terre cuite et des pots hermétiquement fermés, ou encore des bonbonnes pour le stockage des semences. Les galeries souterraines sont des structures de stockage hermétiques connues depuis les temps préhistoriques. Dans les climats particulièrement arides, les fûts d'huile vides stockés en intérieur se sont révélés bien adaptés et sont devenus assez populaires dans certaines régions de l'Afrique occidentale. Point commun à ce type de conteneurs: le grain doit y être stocké à l'état très sec et à l'abri des températures extrêmes, de manière à éviter la condensation et la formation de moisissures.
A l'époque de la Seconde Guerre mondiale, on pratiquait également en Argentine le stockage à l'abri de l'air sur une vaste échelle, de même qu'à Chypre, où l'on construisait dans les années cinquante des alignements de huches coniques coiffées d'un toit de ciment en forme de coupole. Ces « Cyprus bins » ont été introduites au Kenya pour y stocker les réserves nationales de grain.
Au cours de ces dernières années, divers types de silos, entrepôts et structures souples ont été fermés hermétiquement à l'aide de couvertures de plastique souples. L'expérience a montré qu'il s'agit-là de matériaux résistant aux conditions climatiques tropicales, bien qu'il y ait ici toute une série d'aspects à améliorer avant que cette technologie soit couramment utilisable et puisse offrir une alternative. Certains problèmes ayant trait à la lutte, à la préservation de la qualité semencière, ainsi qu'aux migrations d'humidité et à la condensation ne sont pas encore entièrement résolus.
10.2.2 Gaz inertes
Le stockage en atmosphère inerte (gaz carbonique et/ou azote) ne laisse aux insectes aucune chance de survie. En ce qui concerne l'utilisation d'azote (N2), il est indispensable de maintenir en permanence une concentration de 97 à 99% si l'on veut obtenir l'effet recherché. La teneur en oxygène doit être maintenue en deça de 1%. Dans le cas du gaz carbonique (CO2), une concentration d'environ 60% donne de bons résultats. On peut également employer en l'occurrence le méthane (CH4), qui est un gaz produit dans les installations au biogaz.
L'emploi des gaz inertes présuppose trois conditions essentielles:
1. La possession de CO2 (en bouteilles ou sous
forme de produit de combustion du propane ou du butane).
2. Des entrepôts étanches au gaz (ou des piles de sacs
hermétiquement recouvertes) permettant de maintenir la
concentration durant plusieurs semaines.
3. Une faible teneur en eau des produits stockés afin de
prévenir la condensation.
Des procédés détaillés ont été élaborés pour les vastes magasins où sont entreposés des grains en permanence, les piles de sacs bâchées, les conteneurs maritimes et les emballages de dimensions réduites. Les obstacles majeurs auxquels se heurte l'usage généralisé dans les pays en développement sont les coûts élevés, la disponibilité limitée, ainsi que le manque de structures de stockage capables de retenir suffisamment le gaz. Le bioxyde de carbure peut être produit sur place par utilisation d'un système de brûleurs à gaz. Suivant le gaz et la méthode d'application employés, le temps d'action varie entre 14 et 21 jours.
L'anhydride carbonique est tout spécialement indiqué pour remplacer le bromure de méthyle dans le secteur de la quarantaine. Appliqué à une pression atmosphérique normale, le temps d'action devra être de 10 jours ou davantage si l'on veut parvenir à un contrôle total des insectes. A une concentration élevée (98%) et à haute pression (30 kg/cm2), un temps d'action de 5 à 20 minutes suffit à obtenir un taux de mortalité de cent pour cent. Les coûts élevés de cette technique (autoclavage) en restreignent pour l'instant l'usage aux marchandises de grande valeur.
Il est certain que les perspectives d'avenir des gaz inertes ne dépendront pas seulement des coûts, mais également du sort réservé aux fumigènes comme le bromure de méthyle qui, s'ils sont encore largement utilisés à l'heure actuelle, seront probablement tôt ou tard retirés du marché. Pour un certain nombre de pays en développement, l'emploi des gaz inertes peut également offrir à l'avenir une solution de remplacement pour les insecticides.
10.2.3 Poudres inertes
Au cours les dix dernières années, les poudres inertes (il s'agit surtout de silices amorphes) ont vu en Australie leurs applications commerciales progresser. Les trois méthodes d'application les plus courantes sont les suivantes:
Mélange de poudres à la marchandise, généralement à
raison de 1 g/kg
traitement structurel de murs et de planchers au moyen de
poudres sèches ou de suspensions aqueuses
addition de poudres à la surface de grain en vrac.
En adjonction au grain, l'action protectrice des poudres inertes se prolonge douze mois au moins, ce qui est comparable aux produits chimiques classiques. L'efficacité des divers produits est très variable. Certains d'entre eux ne permettent pas un contrôle comparable à celui offert par les insecticides chimiques. Il s'est par ailleurs avéré que certains insectes comme Sitophilus granarius ne sont pas particulièrement sensibles à ce type de traitement. L'adjonction de poudres présente l'inconvénient d'accroître la pulvérulence du grain. Utilisées pour des applications de surface, les poudres ne sont néanmoins en aucun cas inférieures aux insecticides résiduels.
Dans le secteur du stockage à grande échelle, on fonde beaucoup d'espoirs sur l'approche qui consiste à traiter la surface du grain en vrac en utilisant des poudres associées à une autre méthode de lutte contre les ravageurs, comme le refroidissement ou les fumigations. Dans le premier cas, la poudre vient en complément de la ventilation d'air froid et tue les insectes de la couche supérieure, dans laquelle ils ont tendance à s'agglutiner. Appliquée en association avec un fumigène, la poudre agit comme une barrière de gaz et contribue à générer des concentrations adéquates à proximité de la surface.
Les poudres inertes recèlent un certain potentiel d'applications dans la protection des denrées stockées à la ferme. Cette technique est comparable à l'emploi traditionnel de poudres et de cendres et présente l'avantage d'un dosage considérablement réduit. Alors que les additions traditionnelles de substances minérales ne sont en général efficaces qu'à une concentration de 40% et plus, les poudres inertes contenant des silices amorphes sont appliquées à raison de 1 à 2% du poids de la marchandise. Dans le cadre d'essais en laboratoire, on est parvenu à contrôler jusqu'à six mois certains ravageurs, dont Prostephanus truncatus et des bruches des haricots. Au cas les effets seraient considérés comme insuffisants, l'association de poudres inertes et d'insecticides classiques à doses réduites pourraient également offrir une solution d'avenir.
Indépendamment du type de stockage, les poudres inertes sont uniquement efficaces lorsque la teneur du grain en eau est maintenue en deçà de 12% et que l'humidité relative de l'air est assez basse. Si les poudres inertes ont tendance à se coaguler rapidement et à perdre par là même leur efficacité dans les tropiques humides, les régions arides et semi-arides présente des conditions climatiques idéales pour ce type de traitement.
10.2.4 Mise en uvre de hautes températures
En règle générale, les températures supérieures à 40°C entraînent à brève échéance la mort de la plupart des ravageurs des denrées stockées. C'est le principe qu'exploite le séchage traditionnel de la récolte au soleil. On distingue ici deux types de procédés: le traitement en chaleur humide et le traitement en chaleur sèche. L'inconvénient de ces procédés réside dans l'importante dépense d'énergie et l'équipement requis pour les traitements à la chaleur sur une vaste échelle. Ce procédé est par ailleurs inapplicable au niveau des semences du fait qu'il met en danger leur capacité germinative.
10.2.5 Mise en uvre de basses températures
Les basses températures ont pour effet de ralentir dans un premier temps l'activité alimentaire et de réduire les mouvements des insectes. Ce phénomène est suivi d'une paralysie totale au niveau du développement, laquelle aboutit à la mort par refroidissement. Le maintien de basses températures dans l'entrepôt nécessite la mise en uvre de techniques complexes et entraîne de très hautes dépenses d'énergie. Dans certains cas, il peut cependant s'avérer nécessaire de stocker des semences d'élevage de très haute qualité en entrepôt réfrigéré. Les grains possèdent une faible conductivité thermique. C'est pourquoi il est difficile de réfrigérer de grands quantités de grains en piles ou en vrac. Il faut ajouter à cela le risque de formation d'eau de condensation au cours du processus de refroidissement.
10.2.6 Traitement par rayonnements à ondes courtes
Autre moyen d'anéantir les insectes ravageurs des stocks: les rayonnements à ondes courtes (rayonnements gamma). La radiosensibilité des ravageurs varie suivant les espèces. Les céréales peuvent être désinfectées par une dose de 0, 5 kilograys (kGy), les légumineuses à moins de 0,2 kGy. Chez les insectes, les stades les plus sensibles sont les ufs et les larves. A la dose prescrite, il n'a pas été fait état jusqu'à présent d'altérations des propriétés physiques, chimiques ou organoleptiques des produits traités. S'il existe déjà quelques applications commerciales de cette méthode, notamment sur les pommes de terre et les légumes, elles sont demeurées assez limitées jusqu'ici. Quelque 40 pays ont institué l'homologation obligatoire pour ce type de traitement sur certains produits.
Les rayonnements présentent les avantages suivants:
-pas de résidus
-pénétration uniforme dans le grain
-pas de résistances à attendre
-résultats instantanés.
Le processus d'irradiation comporte les inconvénients suivants:
-coûts supérieurs à ceux des traitements chimiques en
raison de l'importance des investissements initiaux
-les rayonnements représentent une phase de manutention
supplémentaire
-nécessité d'avoir des structures de stockage centralisées
capacité limitée des irradiateurs
réticences de la part des consommateurs finaux.
Du fait de l'absence de résidus, le traitement peut être appliqué sur l'emballage final du produit alimentaire. Etant donné qu'il n'y a pas d'effets résiduels, les aliments irradiés doivent être préservés d'une réinfestation par le biais d'emballages adéquats ou par d'autres méthodes.
Eu égard aux équipements requis, aux coûts impliqués et aux réticences manifestées par les consommateurs, il ne semble pas que les rayonnements gamma puissent, dans un avenir prévisible, acquérir une grande signification pour le traitement du grain.
10.3 Méthodes biologiques de lutte
Tout organisme vivant possède des ennemis naturels ou maladies qui assurent l'équilibre des populations. Ce sont ces antagonistes naturels des ravageurs que les méthodes biologiques de lutte mettent à contribution. Les avantages offerts par les procédés biologiques résident surtout dans l'absence presque totale de risques toxicologiques. Il importe toutefois, avant de mettre de telles méthodes en uvre, d'en étudier avec la plus grande attention les effets secondaires pour l'écologie et d'en tenir compte. Dû à certaines caractéristiques particulières de l'environnement, les possibilités d'application des méthodes biologiques de lutte contre les ravageurs des stocks sont très limitées:
Si les méthodes de lutte biologiques permettent de maintenir le nombre des ravageurs à un niveau réduit, elles ne permettent cependant pas de les éradiquer. Etant donné toutefois que le stockage au niveau des petits paysans tolère un certain degré d'infestation, les méthodes biologiques offrent dans ce type de stockage de réelles possibilités.
Les restrictions croissantes à l'emploi de fumigènes et d'insecticides synthétiques ont en outre renforcé l'attractivité de la mise en uvre d'agents biologiques dans la protection des denrées stockées. Il ne faut également pas perdre de vue que la tolérance à l'égard de la présence de « saletés » de toute sorte peut varier. Dans les greniers traditionnels, la présence d'un petit nombre d'insectes est en général tolérée. Même chose en ce qui concerne le grain alimentaire. Il est par ailleurs évident qu'il existe dans le cycle de production des niveaux où les normes ne doivent pas être nécessairement aussi rigoureuses que lorsqu'il s'agit de produits finis ou de grain destiné à l'exportation.
Suite à la percée réalisée ces dernières années dans le domaine de la recherche et de l'application pratique, les antagonistes présentés dans la suite ouvrent des perspectives intéressantes en tant qu'agents biologiques de lutte.
10.3.1 Prédateurs
Avec le lâcher de Teretriosoma nigrescens, un coléoptère de la famille des Histéridés, contre le grand capucin du mais (Prostaphanus truncatus) au Togo et au Kenya, un pas énorme a été accompli dans la lutte biologique contre les ravageurs des denrées stockées qui infestent les greniers à l'échelon des petits cultivateurs. Introduit accidentellement en Afrique à la fin des années soixante-dix, le grand capucin du mais s'est rapidement propagé, causant des pertes d'une ampleur inconnue jusqu'alors (jusqu'à 30% au bout de six mois de stockage). Tous les efforts déployés précédemment pour enrayer ce nouveau ravageur se sont soldés par des résultats plutôt faibles ou n'ont pas été acceptés par les agriculteurs concernés, si bien que la GTZ et le National Resources Institute (NRI) ont mis sur pied des projets ayant pour but d'explorer les possibilités offertes par la lutte biologique.
Parmi nombreux antagonistes étudiés, c'est T. nigrescens (qui est originaire d'Amérique centrale comme le grand capucin du mais) qui s'est révélé offrir le plus haut potentiel eu égard à l'objectif visé. A la suite de recherches approfondies sur l'impact du prédateur ainsi que sur les aspects touchant à la sécurité, T. nigrescens a été introduit au Togo et lâché au début de 1991.
Le suivi des opérations de lâcher a révélé une réduction de pertes substantielle dans les champs, due à la présence de l'antagoniste. Ces découvertes ont encouragé la mise en place de programmes nationaux de lutte dans d'autres pays, où les opérations de lâcher et de suivi continuent encore à l'heure actuelle. Les méthodes d'élevage du prédateur, son introduction dans le pays, le lâcher et le suivi ont déjà fait l'objet de plusieurs ouvrages, ce qui permet aux gouvernements intéressés d'adopter cette technique sans aucune difficulté.
Si le lâcher de T. nigrescens en Afrique n'a pas permis de résoudre totalement le problème posé par le grand capucin du mais, on est désormais parvenu, à travers des mesures de lutte intégrée appropriées contre ce ravageur, à le contenir assez efficacement. T. nigrescens a malheureusement un impact inexistant, ou du moins très réduit, sur d'autres ravageurs des stocks comme Sitophilus spp. ou Tribolium spp.
D'autres prédateurs, comme la punaise Xylocoris flavipes, un Anthocoridé, sont des antagonistes que l'on rencontre fréquemment dans les greniers traditionnels. Il possèdent un bon potentiel de réduction des populations de ravageurs, à condition toutefois qu'ils ne soient pas anéantis par les insecticides à large spectre. Même quand ils ne sont pas utilisés sciemment comme agents de contrôle, ils peuvent, dans le cadre de la lutte intégrée contre les ravageurs des denrées stockées, contribuer à une réduction des pertes dans un environnement exempt d'insecticides et méritent à ce titre une protection particulière.
10.3.2 Parasitoides
Des recherches récentes ont ouvert des perspectives nouvelles quant à la mise en uvre d'ichneumons minuscules dans les magasins de céréales Ces espèces, en général hautement spécialisées, ont leurs hôtes spécifiques parmi les ravageurs des denrées stockées. Citons notamment les espèces Tichagramma, qui parasitent les ufs de teignes. Certaines des espèces identifiées se montrent assez efficaces dans les structures de stockage. Pour garantir les effets à long terme, la mise en uvre de Tichogramma demande des lâchés répétés (« inondants »), à des intervalles déterminés.
En ce qui concerne les bruches sur les légumineuses à grains, Uscana lariophaga, un parasitoide spécialisé dans les ufs, offre certaines perspectives du fait de son impact considérable sur Callosobruchus maculatus dans les stocks de haricots niébé en Afrique occidentale.
Dans les greniers traditionnels non traités aux insecticides chimiques, on rencontre souvent un certain nombre de parasitoides des larves comme Anisopteromalus calandrae, Choctospila elegans et d'autres. Leur impact, parfois remarquable, devrait être pris en considération dans l'élaboration de concepts de lutte intégrée contre les ravageurs des denrées stockées en petites quantités.
10.3.3 Agents pathogènes
Les agents pathogènes (bactéries, virus, protozoaires), qui sont en général spécifiques d'une certaine espèce, peuvent aussi contribuer à assurer un contrôle satisfaisant d'une population de ravageurs dans les champs. Parmi les agents de contrôle biologiques, Bacillus thuringiensis est la plus utilisée. Elle offre dans les conditions de stockage les avantages suivants:
elle exerce une action hautement toxique sur les teignes
ravageuses des denrées stockées
l'efficacité de cette bactérie se maintient plusieurs
mois
un traitement de surface est suffisant dans le cas des
céréales.
La pyrale Plodia interpunctella, ainsi que certaines espèces Ephestia, sont particulièrement sensibles à cette bactérie. On a malheureusement observé dans plusieurs cas l'apparition de résistances prononcées, si bien qu'il est difficile d'évaluer la signification future de B. thuringiensis en tant que méthode de substitution aux insecticides synthétiques. Il existe une variété appelée B. thuringiensis tenetrionis, laquelle recèle un certain potentiel contre les coléoptères des denrées stockées, notamment Rhyropertha dominica. Des recherches plus approfondies seront en l'occurrence nécessaires.
D'autres agents pathogènes, dont les champignons, les virus et les protozoaires, ont également fait l'objet de recherches, mais aucun d'entre eux n'a jusqu'à présent acquis une importance quelconque dans les magasins de céréales en raison d'effets létaux limités ou d'effets secondaires toxiques (mycotoxines) sur les êtres à sang chaud.
Plus que les autres méthodes de lutte, ces procédés font intervenir le comportement des ravageurs des stocks, qui vont ainsi contribuer activement à leur propre destruction. Les méthodes de lutte employées exploitent en l'occurrence les réactions natuelles des ravageurs des stocks face à des stimuli émanant de l'environnement.
10.4.1 Appâtage
L'utilisation d'appâts est une méthode vieille de plusieurs siècles. Elle consiste à offrir aux animaux cibles de la nourriture à laquelle on a mélangé des substances toxiques. A la condition de respecter les consignes données, I'appâtage constitue la méthode la plus sûre et la plus favorable à l'environnement.
Cette technique est utilisée dans certains cas pour attirer et détruire les insectes. Il faut dire néanmoins que la méthode de l'appâtage demeure encore principalement réservée à la lutte contre les rongeurs (cf. section 11.7).
10.4.2 Phéromones
Les phéromones sont des substances attractantes naturelles émises par les insectes dans le but d'établir une sorte de système de communication. A partir d'insectes ravageurs des denrées stockées, on a réussi à synthétiser des substances sexuelles attirantes (émises la plupart du temps par les femelles), ainsi que des phéromones d'agrégation (ces dernières exercent des effets également attirants sur les deux sexes).
Dans la majorité des cas, les phéromones n'ont pas à proprement parler pour objet de servir à la lutte directe, mais plutôt d'assurer les missions suivantes:
. étude de la répartition des différentes espèces
. dépistage des infestations (suivi)
. évaluation des densités de population
· établissement de calendriers d'application de mesures de
lutte
· contrôle des résultats suite à des mesures de lutte.
Des phéromones ont été isolées et identifiées à partir de plus de 30 espéces d'insectes des denrées stockées. Pièges à appâts aux phéromones pour enquête, détection et suivi des pyrales, du lasioderme du tabac et des Dermestidés ravageurs des denrées alimentaires transformées constituent ici les applications les plus courantes. Le piégeage de masse de teignes mâles s'est avéré non rentable. Parmi les phéromones disponibles dans le commerce, on trouve des phéromones pour les ravageurs des denrées stockées suivants:
Coléoptères:
Lasioderma serricorne ( lasioderme du tabac)
Prostephanus truncatus (grand capucin du mais)
Rhyzopertha dominica (capucin des grains)
Stegobium paniceum (vrillette du pain)
Tribolium castaneum (tribolium rouge de la farine)
Tritolium confusum (tribolium américain de la farine)
Trogoderma granarium (trogoderme du grain)
Teignes:
Sitotroga cerealella (alucite des céréales)
Ephestia cautella (pyrale des amandes)
Ephestia kuhniella (mite de la farine)
Pladia interpunctella (pyrale des fruits secs)
Un même composé permet de capturer les mâles des pyrales E. cautella E. kuhniella et P. interpunctella ce qui rend en l'occurrence le suivi relativement économique
Les phéromones sont idéales pour l'emploi en association avec des pièges. Selon l'espèce de ravageurs considérée et le but recherché, il existe un certain nombre de pièges de conception différente. Le piège à teignes le plus pratique et le plus couramment utilisé est le piège delta, qui est constitué d'un morceau de carton paraffiné et plié deux fois pour former un prisme à trois côtés, ouvert aux deux extrémités. Les trois faces intérieures sont recouvertes d'un matériau adhésif. Le fond est muni d'une capsule contenant la phéromone. Les insectes volants sont attirés par la phéromone et restent collés à l'une des surfaces adhésives. Il existe par ailleurs des pièges de conception plus complexe et donc moins économiques, comme le piège à entonnoir ou le piège à ailes. Les petits pièges à colle sont utilisés pour localiser les teignes dans des endroits difficilement accessibles.
Les pièges à insectes volants ont une portée assez limitée. A l'intérieur des magasins, les insectes réagissent jusqu'à une distance de 10 m. Pour obtenir une grille de couverture efficace, il faut donc placer les pièges à 10 m environ les uns des autres. Les essais en plein air effectués sur le grand capucin du maïs ont montré que la distance maximale d'attraction atteignait, en fonction du vent, près de 500 m.
Pour les coléoptères volants (ex: P. truncatus), il existe des pièges de conception similaire. Les coléoptères rampants peuvent être capturés à l'aide de sondes à grain, que l'on insère verticalement dans la marchandise en vrac et qui permettent de capturer les insectes qui passent sans que l'on ait besoin de phéromones. Il va sans dire que le piégeage des coléoptères au moyen de phéromones facilite les captures spécifiques. On trouve également des pièges de carton ondulé traités à l'insecticide et renfermant une capsule à la phéromone (par ex. pour T. granarium). A l'instar des pièges à fenêtre, mettent à profit la tendance qu'ont les coléoptères des denrées stockées de rechercher des cachettes. Pour T. granarium, on a conçu un piège mural qui met à profit l'habitude des représentants de l'espèce de grimper le long des murs. Il existe en outre d'autres types de constructions, destinées à des espèces déterminées.
Les pièges à phéromones pour insectes rampants ont une portée encore inférieure à celle des pièges pour insectes volants. Pour la plupart des types de pièges, la portée est d'environ 1,5 m, ce qui rend difficile une couverture intégrale. Il est par conséquent conseillé de concentrer ce type de pièges à des points vulnérables, à l'entrée des installations de stockage, ou dans des endroits où les insectes sont susceptibles de s'agglutiner.
10.4.3 Attractifs
Certains attractifs issus de produits alimentaires exercent sur les ravageurs des stocks une attirance particulière à plus ou moins longue distance. Dans la pratique, leur mode d'utilisation est analogue à celui des phéromones. Dans certains cas, comme par exemple pour T. granarium, on peut même associer les pièges alimentaires aux phéromones pour renforcer le pouvoir attractif.
10.4.4 Répulsifs
Quelques extraits végétaux exercent des effets répulsifs sur les ravageurs des stocks. Citons ici pour mémoire le neem, déjà mentionné dans la section 4.4.1.2.2. Les expériences réalisées jusqu'à présent ont montré que, dans la pratique, les possibilités de mise en uvre de ces substances sont limitées.
10.4.5 Inhibiteurs de croissance
On s'efforce depuis un certain temps de mettre en uvre des substances spécifiques aux insectes dans la mesure où elles interviennent au niveau des mécanismes complexes de développement et de mue de ces animaux. Ces interventions permettent d'entraver le développement des insectes à tel point que la descendance devient incapable de se reproduire.
Citons à cet égard les substances dont la structure ressemble à celle des hormones juvéniles (analogues d'hormones juvéniles). Leur application a pour effet de créer des formes intermédiaires, inaptes à la survie, aux stades larvaire ou nymphal.
Les inhibiteurs de croissance et analogues d'hormones juvéniles renferment du méthoprène, du fenoxycarb et du diflubenzuron. S'ils présentent une persistance suffisante dans le grain stocké, leur efficacité contre les espèces Sitophilus est relativement faible. Dans la plupart des cas, les inhibiteurs de croissance ne peuvent pas être utilisés avec une efficacité suffisante pour offrir une solution de rechange fiable aux insecticides. S'agissant de la mise en uvre de méthopréne contre le lasioderme du tabac ou certaines souches de Rhyzopertha dominca et de Oryzaephilus surinamensis résistantes aux composés oragnophosphorés, il existe toutefois un un certain potentiel. Des essais ont également mis en évidence les possibilités d'utilisation du méthoprène en association avec un composé organophosphoré.
10.4.6 Variétés de cultures résistantes aux ravageurs des stocks
Il s'est avéré qu'un grand nombre de variétés à haut rendement cultivées dans le cadre de la « révolution verte » étaient plus sensibles aux ravageurs des denrées stockées que les variétés locales. En voici les raisons possibles:
moindre dureté de l'enveloppe de la graine
modification de la composition, par ex. augmentation de la
teneur en protéines
odeur plus attrayante due au changement de composition du
grain
rafles de mais ne recouvrant plus, et donc ne protégeant
plus totalement l'épi.
L'exploitation de telles différences entre variétés peut être considérée comme une excellente mesure prophylactique. à condition toutefois que ces variétés
tolérantes satisfassent aux normes de qualité nécessaires. C'est pourquoi les programmes de sélection devront à l'avenir accorder la priorité aux variétés tolérantes aux ravageurs des denrées stockées.
A de rares exceptions près, comme l'emploi des poudres inertes pour les traitements structuraux, aucune des méthodes décrites dans ce chapitre ne peut être à l'heure actuelle considérée comme apte à remplacer l'utilisation des insecticides. Elles font néanmoins partie des stratégies de lutte intégrée contre les ravageurs des denrées stockées et peuvent contribuer à l'avenir à réduire substantiellement l'emploi des produits chimiques.
10.5 Ouvrages de référence à consulter
ANONYME (1990) Fumigation and Controlled atmosphere Storage of Grain, ACIAR Proceedings No. 25, Canberra
ANONYME La conservation du niébé (haricot) avec l'huile de neem. Fiche Technique de la Protection des Végétaux, Lomé-Cacaveli, 26 p.
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