Deux études concernant l'organisation de la filière de commercialisation de la banane plantain ont été effectuées l'une en Côte-d'Ivoire (IRFA, 1991), l'autre au Cameroun (N'DA ADOPO, 1991); elles ont mis en évidence l'importance du problème des pertes après récolte. Dans les 2 pays étudiés, la filière reste surtout traditionnelle, et met en uvre des moyens et des techniques peu adaptés à la fragilité et à la nature périssable du produit. Une certaine inorganisation des différentes étapes du circuit de commercialisation semble également devoir être mise en cause. Cependant des travaux récents ont montré que le phénomène doit être analysé de façon plus minutieuse.
Cas de la Côte-d'Ivoire
En Côte-d'Ivoire, le type Faux Corne (et en particulier le cultivar Corne 1) représente au moins 90 % des plantains cultivés. La production est abondante d'octobre à mars. En revanche, l'approvisionnement des marchés est relativement faible d'avril à septembre (KUPERMINC, 1985; SERY, 1988). Certains facteurs susceptibles de provoquer des pertes ont été recensés (LASSOUDIERE, 1973; GUILLEMOT, 1976; SERY, 1985):
- récoltes effectuées le plus souvent à un stade de remplissage très avancé, assez proche du déclenchement de la maturation,- conditions de transport déplorables (véhicules trop chargés) et longs délais d'acheminement, fruits tassés puis déchargés sans ménagement;
- mauvaises conditions de stockage en période d'abondance.
Des actions ont donc été proposées aux producteurs pour améliorer les méthodes pratiquées et aboutir à une réduction des pertes aprés-récolte du produit (IRFA, 1991):
- recherche du meilleur stade de récolte permettant de concilier des impératifs de rendement, de qualité des régimes et de possibilités de conservation du plantain à l'état vert,- essais de mise en uvre de certaines techniques de récolte, transport et stockage: utilisation de portiques permettant la découpe des régimes en mains pour un conditionnement en caisses ou en cartons.
Des tests ont alors été conduits pendant 2 saisons de production, de fin 1988 à fin 1990 sur 6 sites (figure 1), dans un rayon de 200 km autour d'Abidjan. Ils ont permis les observations suivantes:
- sur l'ensemble des récoltes, les plus forts poids moyens des régimes récoltés (cultivar Corne 1) vont de 7 à 10 kg selon la saison, et sont atteints 75 à 77 jours après la floraison (tableau 1);- pour des régimes récoltés de 65 à 85 jours après la floraison, la durée maximale de stockage passe de 30 à 15 jours environ dans les conditions de l'expérimentation: récolte soignée, découpe des régimes en mains et en bouquets, transport dans des cagettes et conservation sous abri aéré à température ambiante (26 à 30 °C dans la journée);
- dans l'intervalle de coupe pratiqué, les régimes récoltés plus précocement mûrissent moins vite, mais le taux de dégradation de l'amidon en sucres est finalement le même (figures 2 et 3), les fruits des mains les plus âgées et les plus jeunes ont été comparés.
Figure 1. Régions de Côte-d'Ivoire retenues pour les expérimentations.
Tableau 1. Poids moyens maxima des régimes et intervalles floraison-coupe (IFC) correspondants, dans différents sites de production de la Côte-d'Ivoire (f = saison de faible production; F = saison de forte production).
a) En cultures associées | ||||||||||
Site |
Sikensi |
Divo |
Tiassale | |||||||
|
Série |
2 |
3 |
1 |
2 |
3 |
1 | |||
|
Saison |
f |
F |
F |
f |
F |
F | |||
|
IFC (jours) |
77 |
79 |
75 |
77 |
75 |
75 | |||
|
Poids moyens (kg) |
9,9 |
8,8 |
8,9 |
7,2 |
8,6 |
12,9 | |||
b) en culture pure | ||||||||||
Site |
Dabou |
Tiassale |
Azaguie |
Aboisso | ||||||
|
Série |
1 |
2 |
3 |
4 |
2 |
3 |
1 |
2 |
1 |
|
Saison |
f |
f |
f |
F |
f |
F |
f |
f |
f |
|
IFC (jours) |
77 |
75 |
80 |
70 |
70 |
70 |
72 |
67 |
77 |
|
Poids moyen (kg) |
8,2 |
7,4 |
9,0 |
6,9 |
5,9 |
7,2 |
7,2 |
7,6 |
9,4 |
Ce travail constitue, en fait, une phase expérimentale. Il devrait être poursuivi par un développement plus large des procédés testés, sous la conduite d'agents de vulgarisation. Il a mis en évidence que:
· la culture du plantain dans sa forme traditionnelle actuelle est le plus souvent conduite avec peu de soin, sans intrants, malgré son rôle important dans l'alimentation locale;· les lots de plantains proposés à la vente sont souvent hétérogènes par le poids des régimes les constituant et le stade de récolte de leurs fruits; cela s'explique par l'origine diversifiée des lots de fruits qui proviennent de plusieurs plantations et les délais d'approvisionnement par camion des marchés urbains, qui s'étalent parfois sur plusieurs jours; or dans les tests réalisés la maturité physiologique des fruits est relativement homogène; les techniques expérimentées à petite échelle s'adapteraient mieux à des regroupements de récoltes et de collectes qui nécessiteraient la mise en place d'un autre type d'organisation et de structure du circuit de vente;
· plus la récolte des régimes est tardive plus les possibilités de conservation en frais diminuent; or les habitudes alimentaires encouragent les producteurs à récolter tard: le niveau de remplissage préféré des consommateurs correspond à des fruits proches de la maturité (doigts très remplis, bien arrondis et avec parfois un ou quelques doigts éclatés); si cela permet de meilleurs rendements, la durée de vie verte du produit s'en trouve en contrepartie pénalisée.
Les grandes zones de production qui ravitaillent Abidjan, principal centre de consommation de la Côte-d'Ivoire, sont situées dans la moitié sud forestière du pays; elles sont parfois éloignées de quelques centaines de kilomètres (300 à 400 km dans certains cas) de ce point de vente (TANO KOUADIO, 1979). Les longs trajets d'acheminement des fruits se font souvent en plusieurs étapes. Au cours de celles-ci, il arrive que les régimes soient déchargés, regroupés en tas sur un marché régional de collecte pendant quelques heures voire une journée, avant d'approvisionner le marché final. Il en résulte qu'une proportion non négligeable de régimes mûrs peuvent être observés dans les lots transportés et mis sur les derniers points de vente.
Parallèlement, la demande de bananes plantains mûres est forte, car celles-ci entrent dans certaines préparations culinaires communes en Côte-d'Ivoire:
- "foutou", sorte de pâte de banane confectionnée avec des fruits mûrs juste à point,- "alloco", friture qui, considérée traditionnellement comme une friandise consommée habituellement en fin d'après-midi ou le soir, est devenue pratiquement, à l'heure actuelle, un plat de résistance pour de nombreux consommateurs en milieu urbain; ce plat permet la récupération du plantain très mûr; à certaines périodes de l'année, les commerçants accélèrent même volontairement la maturation (régimes couverts par du plastique) pour satisfaire les demandes.
Ce phénomène de récupération des fruits mûrs est apparu important à prendre en compte dans une étude des pertes du produit au cours des différentes étapes de la filière, et en particulier au stade de la commercialisation finale.
Cas du Cameroun
L'organisation de la filière de commercialisation de la banane plantain au Cameroun présente de grandes similitudes avec celle qui a été étudiée dans le cas de la Côte-d'Ivoire:
- la production la plus abondante se situe sensiblement d'octobre-novembre à mars-avril (ALMY et BESONG, 1989),- la culture se concentre dans la moitié sud du pays car les conditions climatiques y sont plus favorables (provinces du Sud-Ouest et du Centre principalement),
- la manutention des régimes, de façon générale, s'effectue dans le même état d'esprit qu'en Côte-d'Ivoire; les capacités de charge des véhicules sont souvent dépassées pour rentabiliser le voyage.
Mais les cultivars consommés sont plus diversifiés (types Corne et French sensiblement en proportions égales). A côté des plantains on trouve aussi une quantité importante de bananes de dessert qui proviennent soit des plantations traditionnelles paysannes, soit des refus d'exportation des plantations industrielles. Cela augmente la diversité des régimes sur les places de marché. Ces bananes sont consommées cuites, à l'état vert.
Les grands centres de consommation sont ravitaillés par leur voisinage immédiat; les véhicules qui transportent le plantain ne parcourent pas de grandes distances, excepté pour la partie nord du pays non productrice. Les durées de transport, de 2 à 5 heures au maximum, sont donc plus courtes. Yaoundé, capitale du Cameroun, est entourée par sa zone d'approvisionnement distante de 30 à 50 km en moyenne (LENDRES, 1990). A Douala, les régimes proviennent surtout du sud-ouest et secondairement du littoral, à des distances de 50 à 100 km en moyenne (figure 4).
Il n'existe pas alors, dans ces circuits d'approvisionnement, de marchés régionaux intermédiaires où sont regroupées les collectes et déchargées les récoltes qui s'entassent pendant plusieurs heures avant d'être chargées à nouveau pour la destination finale.
Les régimes sont récoltés très verts, plus précocement qu'en Côte-d'Ivoire en général. La durée de vie verte est donc normalement plus longue. L'observation de bananes plantains mûres dans les lots transportés et dans ceux des points de vente finaux est, ici, relativement moins fréquente.
Il n'y a pas d'excès de plantains sur le marché par rapport aux besoins de la consommation. Même en saison de forte production les régimes n'attendent pas plus de 3 à 4 jours avant d'être définitivement commercialisés.
Dès que des échanges réguliers ou fréquents s'établissent entre les producteurs et les acheteurs, un système permettant de récupérer tout le plantain récolté se met assez rapidement en place. Diverses techniques peuvent être adoptées (N'DA ADOPO, 1991), ainsi:
- les producteurs vendent souvent leur récolte en gros; ce procédé interdit aux intermédiaires de trier les régimes pour n'acheter que les meilleurs et abandonner le reste des lots entre les mains du paysan;- les intermédiaires utilisent un dispositif de récupération et de valorisation des fruits détachés des régimes, et parfois cassés au cours des manutentions et des transports.
A côté des vendeurs classiques, il existe d'autres acteurs du circuit de commercialisation de la banane plantain qui peuvent être véritablement spécialisés dans certaines fonctions: rangement des régimes dans les camions, classement des régimes sur le marché en fonction des initiales marquées sur la hampe par chaque grossiste-livreur après l'achat.
Une fois les transactions terminées, certains manutentionnaires commercialisent les plantains dans un véritable sous-circuit qui fonctionne sur la place du marché avec d'autres vrais vendeurs spécialisés. Les doigts qui auraient été accidentellement arrachés ou cassés au cours des transports et des manutentions sont classés dans une catégorie inférieure aux autres fruits et se vendent moins chers (figure 5). Cela profite à une certaine clientèle urbaine relativement modeste.
Cette organisation fonctionne assez bien; elle permet d'accroître les gains des vendeurs tout en contribuant à minimiser les pertes du produit. Même si les techniques utilisées dans la filière de commercialisation de la banane plantain paraissent peu rationnelles à première vue, il s'avère qu'elles correspondent à l'aboutissement d'une certaine tradition. Elle serait, en fin de compte, en équilibre avec la structure du circuit de distribution et le système global de commercialisation et de consommation.
Finalement il s'avère qu'au Cameroun, les pertes après-récolte les plus évidentes se situent actuellement chez le producteur, dans les sites d'accès difficile car relativement enclavés, en saison pluvieuse particulièrement.
La vulgarisation de nouveaux procédés de commercialisation se présente différemment selon qu'elle s'adresse à une zone de production où le prix du plantain est relativement faible, ou à des régions éloignées de ces sites où la denrée se vend à des prix plus élevés, quel que soit son degré de maturation. Les tests de distribution de plantains conditionnés en cartons sur les marchés de Douala et de Yaoundé ne se sont pas révélés économiquement rentables. Ces procédés pourraient, par contre, être intéressants dans les centres urbains de consommation, non producteurs, situés dans l'extrême nord du pays. Le coût élevé de cet aliment pourrait alors justifier l'utilisation de tels conditionnements spéciaux.