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Nécessité d'une organisation souple de la commercialisation

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Souvent, quand les producteurs se plaignent de la faiblesse des prix et de l'exploitation dont ils sont l'objet de la part des marchands, les services gouvernementaux et les autres organismes, qui ne peuvent rester insensibles a ces plaintes, sont tentés de mettre sur pied des systemes de remplacement. L'expérience montre qu'il est difficile de remplacer avec succes un systeme qui s'est développé sous la pression de la concurrence. Pour conserver leur part du marché, les entreprises concernées ont du s'adapter tres précisément aux conditions du milieu. Cela est particulierement vrai pour la vente de fruits et légumes périssables sur le marché intérieur dans les pays en développement.

En 1980, on essaya de créer un nouveau circuit entre les cultivateurs de légumes des collines de Java-Ouest et le marché de gros de Jakarta. Dans deux zones de production, on achetait aux agriculteurs en moyenne 6 500 kg par jour d'une douzaine de légumes différents. Les prix étaient basés sur ceux des légumes non classés vendus sur les marchés locaux. Les agriculteurs étaient payés comptant. Le projet prévoyait le transport des légumes depuis les champs jusqu'aux centres de groupage, ou ils étaient nettoyés, triés en fonction de criteres définis, emballés et expédiés au marché de gros de Jakarta. Ce dernier n'offrait aucune prime pour les qualités présumées supérieures. La marchandise était déja vieille de 48 heures quand elle arrivait chez le détaillant, alors que celle qui était proposée par les commerçants privés ne datait tout au plus que de 24 heures. Ces commerçants chargeaient leurs camions avec des denrées rassemblées au bord de la route et partaient directement pour Jakarta. Les produits amenés a un point central pour le nettoyage, le triage et l'emballage ne pouvaient arriver en aussi bon état sur le marché de gros.

Des problemes de souplesse analogues se poserent dans les choix de gestion lorsqu'on relança l'entreprise d'emballage projetée par l'HCDA au Kenya. La politique officielle était de créer une coopérative. Un homme fut chargé des ventes. Il partait avec 2 tonnes de marchandises de genre et de qualité divers, qu'il était supposé vendre en deux heures a 15 clients différents a Nairobi. Les détaillants essayaient tous d'accaparer les meilleurs lots et discutaient les prix. Il était donc le plus souvent obligé de les baisser jusqu'au minimum qui lui permettait de couvrir ses frais. Les cultivateurs, toutefois, en attendaient toujours beaucoup plus. Cet homme eut un accident et le camion fut détruit avec sa cargaison. Aucune réserve n'avait été constituée pour couvrir ce genre de risque, et le probleme de savoir comment gérer l'installation comme une affaire commerciale n'avait jamais été réglé. On aurait pu faire appel a un commerçant confirmé et expérimenté pour vendre sur le marché de Nairobi, mais les autorités craignaient qu'il n'abusât de cette situation. Les installations d'emballage étaient tres appréciées et les cultivateurs prenaient l'habitude de percevoir des revenus bien plus élevés. Pourtant, 10 ans plus tard, une fois que ces entreprises eurent rempli leur rôle de démonstration, une seule d'entre elles subsistait comme affaire viable.

Des melons peu coopératifs. Au Tchad, l'idée de concentrer les efforts des petits producteurs de légumes pour commercialiser leur production n'était pas nouvelle. Il y avait eu dans ce sens plusieurs tentatives, sans résultat durable. La raison en était toujours la meme: impossibilité de collaborer. L'histoire des melons illustre clairement ce mécanisme.

En 1971, un commerçant expatrié vivant au Tchad se persuada que, si ses melons étaient appréciés par ses amis de N'Djamena, ils le seraient aussi, en hiver, par les Français. Il organisa quelques envois a l'essai apres un tri et un emballage soignés. Les vols vers Paris étaient réguliers, la place excédentaire ne manquait pas; bientôt un importateur confirmé prit en charge les expéditions. Vers la fin de 1973, les exportations dépassaient 160 tonnes, auxquelles s'ajoutaient plusieurs centaines de tonnes fournies aux magasins de N'Djamena. C'est alors que de petits producteurs se plaignirent d'etre évincés du marché des melons. Une personnalité politique tres en vue entrevit des possibilités de bénéfices faciles dans la culture et l'exportation des melons. Le commerçant se retrouva persona non grata. Un projet ambitieux d'exportation coopérative de produits horticoles fut lancé, sous le parrainage officieux de cette meme personnalité politique.

Sous le sigle CAMAN, cette toute nouvelle entreprise exportait par l'intermédiaire de la SOCOMINPEX, société générale d'import-export. On fit appel a l'aide technique et financiere internationale. Grâce a de nouvelles pompes d'irrigation, a des moyens de transport et a des fonds de roulement pour le crédit, CAMAN était bien placée pour produire des melons en quantité. La SOCOMINPEX n'en exporta que 90 tonnes en 1974. Les importateurs se plaignaient de la mauvaise qualité, de l'irrégularité et de la nonconformité des arrivages. Incapable d'honorer ses engagements financiers envers la coopérative, la SOCOMINPEX dut cesser ses activités.

On fit entrer en lice la SONACOT, société nationale de distribution traitant des affaires de toute sorte. Le total de 1975 fut maigre: 20 tonnes. Les petits producteurs recommencerent a se plaindre. Il s'avéra qu'ils essuyaient un fort pourcentage de refus, alors que les melons provenant de l'exploitation de la « personnalité » étaient systématiquement acceptés par les inspecteurs du gouvernement. On donnait aussi la priorité a ses melons quand l'espace libre a bord des avions se trouvait limité, abandonnant sur la piste les envois des petits producteurs. En 1976 et 1977, on confia l'exportation a la SODELAC, société nationale chargée de la mise en valeur du lac Tchad. Puis l'exportation cessa completement. Le producteur-exportateur énergique avait été remplacé par des mécanismes compliqués, sans véritables responsables sur lesquels auraient pu s'appuyer les petits producteurs.

La BUD au Sénégal. Voici l'histoire de l'association entre le plus important grossiste américain de produits maraîchers et le gouvernement éclairé d'un pays stable d'Afrique. La compagnie avait une grande expérience du transport réfrigéré des laitues de Californie vers les villes de la côte est des Etats-Unis et vers l'Europe. L'idée était de cultiver en grand haricots verts, melons, etc., au Sénégal et de les expédier en Europe hors saison.

On avait prévu qu'en 1978 ces cultures occuperaient 3 600 hectares et que les exportations annuelles atteindraient de 80 000 a 100 000 tonnes. En fait, la compagnie ne cultiva jamais plus de 800 hectares et ses exportations annuelles ne dépasserent jamais 5 000 tonnes. Elle fut liquidée en 1980.

Le plan était d'organiser le transport par mer en s'inspirant du systeme utilisé par les cargos bananiers de la Geest, qui assuraient un service régulier entre les Antilles et le Royaume-Uni deux fois par semaine. On disposait maintenant de conteneurs réfrigérés. La BUD espérait charger la marchandise dans les conteneurs a l'usine d'emballage et les envoyer en bloc vers les marchés terminaux européens. Elle ne fut jamais a meme d'exploiter cette idée. Les exportations a partir du Sénégal étaient tributaires de bateaux qui s'arretaient en chemin entre la Côte d'Ivoire et l'Europe. Ce service demeurait irrégulier. Les possibilités de fret aérien étaient fréquentes et régulieres, mais seuls des produits de haute valeur marchande pouvaient supporter un cout de transport de 50 a 70 cents U.S. par kilogramme. Venait encore compliquer l'entreprise l'obligation de servir les intérets d'organismes regroupant les petits producteurs, de ménager des facilités de paiement et de privilégier l'emploi plutôt que la mécanisation. Il y eut des défaillances dans l'alimentation en eau pour l'irrigation, des infestations de parasites et de mauvaises herbes. La BUD était de surcroît interdite d'acces sur le marché local.

Par contre, on peut constater la bonne stabilité d'une structure comprenant une quinzaine de petits exportateurs de légumes qui se fournissent aupres de cultivateurs paysans au Sénégal. Ils exportent annuellement de 100 a 1 000 tonnes chacun. Ils proposent les cultures et passent des accords avec les cultivateurs pour leur fournir des semences, des engrais et autres intrants a crédit ou en nature. Les exportateurs ont dans chaque village un agent connu comme « chef de secteur ». Celui-ci supervise les cultivateurs, organise la récolte et veille a ce que ceux qui ont bénéficié d'un crédit livrent bien leurs produits a l'exportateur qui le leur a consenti. L'éventail des prix perçus par les cultivateurs est déterminé en accord avec des agents du gouvernement. Les ventes en Europe, toutefois, se font en consignation. Les exportateurs supportent le risque financier. Ils perdent généralement de l'argent sur certaines expéditions et en gagnent sur d'autres, suivant l'état du marché et le jeu de la concurrence.

Enseignement tirés

Mais l'application rigoureuse de normes est indispensable pour ce qui est de l'exportation, surtout vers des marchés exigeants. Un pays ou un expéditeur privé ne peut se permettre de voir sa réputation entachée par des arrivages de marchandise de mauvaise qualité ayant la même provenance. Se forger une bonne image de marque sur les marchés extérieurs n'est pas chose facile. Une fois acquise, il faut veiller à la maintenir par une constante vigilance.

Si les prix sur les marchés d'exportation sont élevés en raison de la rareté du produit et qu'on ne dispose que de marchandise de seconde qualité, on peut en envisager l'exportation afin de ne pas perdre une part du marché global, mais cette marchandise ne devra pas circuler sous la marque habituelle.

En Jordanie, les conteneurs les plus appréciés étaient des cageots usagés qui avaient contenu des pommes provenant du Liban. Au Kenya, on se servait de sacs à pommes de terre pour transporter des produits volumineux, comme des choux, ou semi-périssables, tels que des agrumes.

Les gouvernements peuvent préconiser l'utilisation d'emballages communs pour telle ou telle variété de marchandise afin de rendre plus significatives les informations commerciales sur les prix et les quantités. Dans la plupart des pays en développement, des normes d'emballage rigoureuses ne sont ni économiques ni indispensables sur le marché intérieur. Elles sont précieuses quand il s'agit d'exportations; elles devraient être établies en fonction d'une étude détaillée des préférences des importateurs et des pratiques des concurrents. Au Kenya, il y avait au début des années 70 une multitude de types et de tailles de conteneurs pour l'exportation, dont le coût était bien plus élevé qu'il n'était nécessaire. On consulta les exportateurs et les fabricants de boites en carton, et cinq types d'emballages furent sélectionnés pour recevoir toute la production qu'on exportait à ce moment-là. L'HCDA lança alors un appel d'offres. Les économies furent considérables. Le fabricant n'avait qu'à changer la plaque imprimante pour les divers exportateurs en tirant n'importe laquelle des cinq tailles pour toute une campagne. En 1974, plus de 12 000 tonnes de marchandise furent exportées par avion dans ces cinq tailles de cartons; on les utilisait encore en 1981.

De même, le transport par avion des fruits et légumes est généralement plus économique lorsqu'il vient en complément d'un vol de passagers. Fréter un avion vide n'est rentable que si l'on trouve un fret de retour payant. On risque aussi de casser les prix si l'on met tout l'arrivage sur un seul marché, mais décharger à plusieurs endroits multiplie les frais d'atterrissage.

Il est essentiel de collaborer avec les principaux cultivateurs et commerçants. Si une idée d'amélioration leur offre des possibilités de bénéfice immédiat, ils l'adopteront certainement. Au cas où les innovations proposées sembleraient à première vue trop complexes ou entraîneraient des conséquences draconiennes pour les structures existantes, il conviendra d'envisager la collaboration d'au moins une entreprise commerciale confirmée.

 

Questions aux fins de discussion

  1. Quelles sont dans votre pays les principales entreprises de commercialisation de fruits et légumes? Pour les quatre plus importantes d'entre elles, quelle combinaison de produits constitue leur activité principale? Enumérez les fonctions remplies par chacune d'elles.
  2. Indiquez les marchés et les entreprises qui constituent dans votre pays le circuit intérieur de commercialisation pour les pommes de terre, les oignons, les principaux fruits, les légumes verts. Y a-t-il eu des modifications dans ces structures au cours des 10 dernières années? Quels sont les facteurs qui les ont servies?
  3. Quelles méthodes les plus gros cultivateurs ou les principales entreprises de groupage utilisent-ils pour emballer ces produits en vue de la vente en gros? Certains d'entre eux font-ils appel à des conditionneurs professionnels ou utilisent-ils un matériel spécialisé pour l'emballage ou le triage par qualité ou par grosseur? Si oui, à qui appartiennent ces installations?
  4. Quels critères de qualité appliquent-ils pour préparer les lots destinés aux revendeurs desservant une clientèle à haut revenu? D'autres marchés locaux? Des marchés plus éloignés?
  5. Quelles sont les méthodes de vente appliquées dans votre pays pour la vente en gros des fruits et des légumes? Evaluez pour certains produits les avantages comparés de la vente à une seule enchère ou à plusieurs enchères simultanées, ou par négociation par l'intermédiaire de commissionnaires. Quel est le montant des honoraires ou des commissions perçus? Exposez et justifiez les changements que vous proposeriez.
  6. Quels moyens de transport les grossistes les plus importants utilisent-ils pour approvisionner les marchés éloignés? En sont-ils propriétaires ou locataires?
  7. Si votre pays exporte des fruits ou des légumes, se sert-on d'emballages normalisés et applique-t-on des normes qualitatives précises? Si oui, comment les a-t-on élaborées et adoptées? Selon vous, y aurait-il intérêt à appliquer certaines de ces normes à la préparation de tels produits destinés aux marchés intérieurs?
  8. Se sert-on dans votre pays de réserves réfrigérées ou de chambres froides pour la commercialisation des fruits et légumes? Dans l'affirmative, indiquez les produits qui y entrent chaque mois de l'année, identifiez les propliétaires de ces installations, les principaux utilisateurs et les détaillants qui achètent ces produits.
  9. Indiquez l'entreprise de transformation de fruits et légumes la plus importante de votre pays. Précisez les quantités de chaque produit traitées pendant chaque mois de l'année. Comment s'assure-t-elle un approvisionnement régulier de denrées à traiter? Par quels circuits vend-elle les produits transformés?
  10. Dans votre pays, des entreprises nationales ou coopératives de commercialisation de fruits et légumes ont-elles pu fonctionner avec succès dans une situation de concurrence? Si oui, décrivez les circonstances qui leur ont été favorables et évaluez leur contribution au développement.
  11. A-t-on fait des efforts pour étaler les périodes pendant lesquelles les consommateurs peuvent se procurer des fruits et des légumes saisonniers, et pour limiter la surabondance au plus fort de la saison? Qui a participé à ces efforts? Quel succès ont-ils remporté?
  12. L'exportation de fruits et de légumes rapporte-t-elle des devises à votre pays? Quels sont les obstacles à l'expansion de cette activité? Pouvez-vous indiquer des mesures qui encourageraient ce genre de commerce?

 

Références

ABBOTT, J.C. Dans Markets and marketing in developing countries. Ed. R. Moyer & S.C. Hollander. Holmwood, Irwin, Illinois.

FAO. Commercialisation des fruits et légumes, par J. C. Abbott. Deuxième édition, révisée. Collection FAO: La commercialisation - Cahier N° 2. FAO, Rome.

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SOUTHWORTH, H. Some studies of fresh fruit and vegetable marketing in Asia. Agricultural Development Council, New York.

TROPICAL PRODUCTS INSTITUTE, London and International Trade Centre. Series of studies on the markets for specific fresh and processed fruits, vegetables and spices. Genève.


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