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La plupart des gens ne tiennent guere a voir en face les réalités de la préparation de la viande. Presque tout le monde, y compris les éleveurs et les consommateurs, considere les bouchers comme des profiteurs, mais peu de personnes ont envie de faire ce métier. Dans certains pays d'Asie, ces sentiments sont beaucoup plus poussés. Les hindouistes de stricte obédience se refusent a ôter la vie, sous quelque forme que ce soit: la moitié de la population de l'Inde fait passer ses croyances avant son estomac et ne mange pas de viande. Les bouddhistes ne veulent pas tuer, ni voir le sang. Par contre, la plupart d'entre eux sont prets a savourer un plat de viande, a condition que quelqu'un d'autre l'ait préparé.
Ces attitudes ont de grandes conséquences sur la gestion de la commercialisation du bétail et de la viande et sur les moyens dont elle peut disposer.
En 1979, une enquete sur la commercialisation du bétail en Birmanie fit apparaître certains faits. Le bétail destiné a l'abattoir était parfois traité de façon cruelle et brutale. Pour vider les camions a deux étages ou étaient transportés chevres et moutons, on faisait sauter en meme temps les betes se trouvant aux deux niveaux, si bien qu'elles s'écrasaient lourdement les unes sur les autres et contre le bord du quai. On jetait les paniers de volailles a terre. On traînait les boufs hors des camions en les faisant passer sur des plates-formes branlantes et mal jointes, avec des dénivellations d'un metre ou les animaux risquaient de tomber. Les jointures et les muscles raidis par un long voyage, serrés les uns contre les autres, les animaux subissaient, dans ces conditions, contusions, entorses et fractures. On aurait pu leur éviter bien des souffrances, et réduire fortement les pertes, en construisant des rampes d'acces et de déchargement simples et n'exigeant qu'un investissement modique.
La participation des conseils municipaux a ce secteur d'activité consistait d'abord et avant tout a percevoir des recettes fiscales. Les dépenses pour le personnel et l'entretien des installations (abattoirs, étals sur les marchés, marchés aux bestiaux) n'absorbaient qu'une faible partie de ces revenus. Le plus gros de ces recettes servait a couvrir entre 10 et 30 pour cent des besoins budgétaires de la ville. Aussi, quand le conseil municipal (comme c'était souvent le cas) refusait de prendre en considération la nécessité d'augmenter le nombre des étals de vente au détail, les rares bénéficiaires d'une patente et la trésorerie de la commune se partageaient en quelque sorte le bénéfice de ce monopole. Tout cela, évidemment, favorisait l'abattage clandestin et la vente non déclarée de la viande.
Etant donné l'aversion des bouddhistes a tuer et a voir le sang, ce sont des musulmans, des chrétiens et des membres de minorités ethniques chinoises qui ont été amenés a se concentrer sur la commercialisation de la viande et du bétail. Cela ne constituait pas forcément un désavantage, si ce n'est que la suprématie de groupes de commerçants ayant entre eux des liens ethniques étroits n'encourageait pas l'émulation et, certainement, engendrait la méfiance. S'efforçant de briser la domination de certains groupes ethniques sur le commerce, et de suivre la politique du gouvernement tendant a favoriser l'expansion rapide des activités coopératives, beaucoup de communes ont transféré les patentes de bouchers, qui accordent le plus souvent le droit d'abattre et le droit de vendre, a des sections de « production de la viande » récemment mises en place au sein de leurs propres coopératives communales. Pour mettre la nouvelle entreprise coopérative a l'abri de la concurrence, certaines municipalités exigerent des détenteurs de patente qu'ils leur abandonnent la totalité du commerce pour un type d'animal déterminé (bovins, porcins, caprins).
Figure 6.5 Les prescriptions religieuses posent fréquemment des problemes.
Les monopoles ainsi établis au bénéfice des coopératives donnerent lieu a des abus, comme tout monopole, surtout s'il est confié a des gestionnaires plutôt inexpérimentés.
En Birmanie, l'éleveur percevait pour les bovins et les ovins environ 6566 pour cent du prix de la viande au détail-plus les revenus provenant des sousproduits-et 70 pour cent pour les porcins. Cette marge commerciale relativement faible était due notamment a l'abondance de main-d'ouvre qualifiée et a l'écoulement quotidien de toute la viande et des sous-produits sans perte ni frais de stockage. Le poste de dépenses le plus important était la patente pour l'étal de boucherie. Les recommandations visant a améliorer le systeme étaient les suivantes:
En Inde, la commercialisation des produits laitiers a fait l'objet d'une attention toute particuliere. Le programme appliqué pour retirer de la ville les animaux qui fournissaient le lait a la population de Bombay et pour le commercialiser sur une base coopérative a suscité une vive admiration. Ce programme est actuellement étendu a d'autres régions, sous la direction centrale d'un Office de développement des produits laitiers.
Par contre, beaucoup moins d'attention a été portée a l'amélioration de la commercialisation du bétail. Les animaux changent de main a l'occasion de foires périodiques. S'il n'existe pas un systeme plus organisé de commercialisation du bétail et de la viande, c'est en raison de l'aversion qu'éprouve la plus grande partie de la population indienne a l'endroit de l'abattage en général et de celui de bovins en particulier. La loi prévoit des restrictions qui procedent de cette aversion et qui rendent tres difficile la mise en place d'un systeme de soutien intégré dans ce domaine. A cela pres, les autorités centrales et celles des Etats sont manifestement disposées a encourager la commercialisation du bétail et de la viande, afin d'améliorer la ration protéique de la population et d'accroître les rentrées de devises grâce a l'exportation de produits animaux.
Figure 6.6 Un marché au bétail moderne.
Au milieu des années 60, une agence internationale d'expertise-conseil reçut d'un haut fonctionnaire du Gouvernement indien une demande confidentielle: pourrait-elle élaborer une proposition visant a utiliser de façon productive les tres nombreux animaux âgés qui, dans tout le pays, consommaient de la nourriture sans rien rapporter en retour? La réponse de l'agence, en substance, suggérait d'installer a Goa une usine de transformation. Rattaché depuis peu a l'Inde, Goa se tenait encore un peu a l'écart. La population, catholique, n'avait pas d'aversion particuliere envers l'abattage de ces animaux. Les mandataires de cette entreprise pourraient se fournir dans différentes régions de l'Inde, et les animaux etre menés ou transportés a Goa par des voies détournées sans faire trop de publicité quant a leur destination finale.
Les produits finis comprendraient des extraits de viande, de la poudre de viande, de la poudre d'os et des peaux. On trouva, pour mener l'affaire, une entreprise transnationale en mesure d'offrir des débouchés extérieurs. Les recettes seraient en devises, et le projet avait donc de bonnes chances d'etre viable. Ses plus grands avantages seraient indirects-a savoir les terres et autres ressources ainsi dégagées pour un bétail plus jeune et plus productif. Ce projet était tres séduisant; il ne fut jamais réalisé. Le gouvernement était en butte a une opposition politique intérieure croissante. Les élections approchaient, et un parti qui avait choisi la vache comme embleme ne pouvait pas prendre un tel risque.
Les marchés de groupage. Les parcs d'attente, les balances, etc., restent souvent inutilisés. Il ne faudrait pas généraliser l'attribution de moyens de ce genre avant que l'expérience n'en ait démontré l'utilité. Les vendeurs occasionnels sont vraisemblablement moins capables d'estimer correctement les poids que les acheteurs spécialisés, mais ils estiment bien souvent qu'il ne vaut pas la peine de peser l'animal vivant. Il semble plus important pour les utilisateurs de ces marchés de disposer d'eau et de fourrage si les betes viennent de loin, et, dans les pays chauds, d'ambre. Des rampes d'acces munies de rambardes sont indispensables pour le chargement des animaux sur des véhicules, ou le déchargement.
Information sur le marché. Il semble préférable de commencer par les prix de gros de la viande en carcasse a des points de vente reconnus ou, a défaut, par les prix de détail de la viande a des points de vente déterminés. On peut alors, en tenant compte des marges et des taux de conversion établis, répercuter les variations de ces prix sur les transactions avec l'éleveur. La diversité des races, des âges et de l'état des animaux rend difficiles la collecte et la publication de données significatives sur les prix des animaux vivants. Il sera toujours bon de pouvoir fournir des renseignements a jour sur les quantités proposées, sur les conditions de transport et de parcage, ainsi que sur les modifications des contrôles vétérinaires ou autres qui influent sur les mouvements et sur les ventes.
Classement par qualité. Il est important de disposer d'un systeme cohérent pour développer les exportations de viande. Les acheteurs en puissance dans d'autres pays doivent connaître avec précision la qualité de la viande qui leur est proposée; ils doivent etre a meme de discuter les prix et les prétentions en fonction de normes établies. Des criteres précis seront moins utiles pour la commercialisation intérieure, surtout dans les communautés a faible revenu ou la plupart des consommateurs achetent la viande par petites quantités pour la préparer en ragout. Des morceaux de choix ou des qualités supérieures peuvent cependant etre fournis aux groupes éventuellement disposés a en payer le prix. On n'a pas besoin pour cela d'un systeme national organisé par des services du gouvernement, et moins encore d'un systeme obligatoire imposé a tous. Dans le secteur privé, les normes et criteres régissant le commerce de la viande et du bétail sont établis avec un maximum d'efficacité par les acheteurs individuels importants.
L'aide de l'Etat. En général, la participation du secteur public a la commercialisation du bétail et de la viande est faible quand elle est nécessaire, et genante ou abusive quand elle ne l'est pas. Les domaines dans lesquels elle pourrait rendre de grands services, mais ou les ressources font souvent défaut et ou les réalisations restent tres lentes, sont les systemes d'information et de communication, les installations portuaires et de transport, et certains services vétérinaires. La participation directe de l'Etat au commerce du bétail et de la viande n'est pas vraiment nécessaire et s'avere souvent genante, surtout si elle entraîne la mise en place de monopoles, un plafonnement rigide des prix et des contrôles arbitraires sur les mouvements.
Le manque de personnel qualifié a constitué un sérieux handicap pour la planification et l'aide des pouvoirs publics. Nombre d'entre eux ont encore a constituer un service comprenant un personnel qualifié et dynamique, capable d'analyser les problemes et d'assurer les priorités qui permettront un développement auto-alimenté.
Les coopératives. Le bétail présente des caractéristiques qui le rendent moins apte que d'autres produits a une commercialisation de type coopératif. Sur pied, il demande des soins attentifs; abattu, la viande est hautement périssable; dans les deux cas, la normalisation n'est pas simple. Les fluctuations qui caractérisent les conditions d'approvisionnement du marché exigent beaucoup de souplesse dans les prises de décision, si l'on veut assurer un bon service au consommateur et conserver la confiance de l'éleveur. C'est pourquoi il est difficile, dans le tiers monde, de trouver un nombre suffisant de gestionnaires qualifiés pour une commercialisation de type coopératif de la viande et du bétail.
Abattre dans la zone de production. Cette pratique exige des investissements quelquefois durs a supporter en équipements d'emmagasinage et de transport sous réfrigération. Il est, de plus, aléatoire de dépendre d'une zone ou d'un circuit d'approvisionnement déterminés pour le volume qu'on aura a traiter. Les relations entre l'abattoir, ses fournisseurs, les distributeurs de viande et le marché doivent également etre définies clairement. On réduira les risques d'échecs couteux en prenant les décisions a partir d'études de faisabilité qui tiennent compte de tous les aspects pertinents-techniques, financiers et commerciaux. Pour etre réalisées dans les meilleures conditions, ces études seront confiées a des équipes tout a fait impartiales, et comportant des personnes ayant acquis une expérience sur place. Simultanément, on fournira des services et des équipements qui permettront d'améliorer sensiblement les mouvements du bétail par route ou par chemin de fer.
Figure 6.7 Le fabricant d'équipement cherche avant tout a décrocher un contrat.
L'embouche. La pratique de l'embouche n'a guere de chances de se révéler avantageuse dans les pays a production excédentaire de bétail. Les animaux sélectionnés pour leur rusticité dans les conditions propres aux terrains de parcours ne réagissent que lentement a l'alimentation supplémentaire reçue dans les parcs d'embouche; de plus, les prix de la viande sont généralement établis en fonction des taux a l'exportation, alors que ceux du fourrage le sont en fonction des taux a l'importation. On est arrivé a cette conclusion dans les territoires arides du nord-ouest de l'Australie. Conclusion confirmée par ce que l'on a pu voir en Afrique. Cependant, au Swaziland, on a remporté des succes en associant un parc d'engraissement a un abattoir travaillant pour l'exportation. Pour développer la commercialisation, on considere donc qu'il vaut mieux, en général, trouver des débouchés pour la qualité de viande obtenue par l'élevage sur parcours.
Décisions d'investir. Une étude, réalisée dans les années 60, porte sur 70 usines de traitement installées en Afrique. Ces usines ont échoué. Dix-huit d'entre elles étaient des abattoirs. Les situations qui avaient conduit a la création de ces installations ont un caractere récurrent. Les gens qui avaient tiré les enseignements d'erreurs antérieures sont partis. Ils ont été remplacés par de nouveaux planificateurs nationaux, de nouveaux dirigeants politiques, de nouveaux bailleurs de fonds, que des ambitions nouvelles ont poussés vers ce que leurs prédécesseurs avaient appris a reconnaître comme des pieges classiques. Sont responsables de cet état de fait:
La genese de l'abattoir du Lesotho illustre bien le fonctionnement de ces influences.
Références
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